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Crise de la vanille à Madagascar, où des centaines de tonnes de gousses invendues s’accumulent

A sept mois de la présidentielle, le chef de l’Etat Andry Rajoelina a admis l’échec de sa politique de fixation des prix. Un compromis doit être discuté avec les importateurs le 24 avril.

Rien ne s’est passé comme prévu. Le scénario imaginé par Madagascar pour se prémunir d’un effondrement brutal du marché de la vanille en imposant depuis trois ans un prix minimum de 250 dollars/kg (228 euros/kg) a conduit à une impasse. Alors que des centaines de tonnes de gousses invendues s’accumulent dans les champs des planteurs et les entrepôts des exportateurs de la Sava, dans le nord-est de l’île, Andry Rajoelina a admis son échec, jeudi 13 avril, en ouvrant la voie à une « libéralisation » des exportations. La décision, réclamée par les acteurs de la filière, est censée faire retomber la fièvre qui monte dans la région depuis plusieurs mois.

A moins de sept mois de l’élection présidentielle prévue en novembre, l’enjeu dépasse le sort de la Sava, dont les suffrages n’étaient pas allés à Andry Rajoelina en 2018. La politique d’encadrement des prix lancée au début de la pandémie de Covid-19 n’a pas seulement mis à terre la région la plus prospère du pays, elle a creusé les déséquilibres financiers et monétaires de l’économie malgache, en tarissant l’une des principales sources de devises étrangères.

Budget exsangue

La vanille – dont la Grande Ile de l’océan Indien reste de loin le premier producteur mondial avec 80 % du marché – assure un quart des recettes d’exportation et des rentrées conséquentes au budget de l’Etat aujourd’hui exsangue. Une situation dont s’inquiétaient fin mars les experts du Fonds monétaire international (FMI) : « La récente réforme du secteur de la vanille semble avoir entraîné une réduction significative des entrées de devises et devrait être reconsidérée. » L’ariary a perdu 25 % de sa valeur face au dollar, renchérissant d’autant les prix des produits importés, dont celui du riz, que le gouvernement subventionne pour amortir la crise sociale.

Dans ce contexte, l’appui budgétaire de 100 millions de dollars (91,2 millions d’euros) en cours de négociation avec la Banque mondiale apparaît comme une indispensable bouée de sauvetage pour permettre à l’Etat de continuer à honorer ses engagements, et notamment le paiement de ses fonctionnaires. L’institution financière internationale reste le seul bailleur à accepter d’apporter un soutien direct au budget de l’Etat après les détournements observés sur les aides accordées pendant la pandémie.

Pour les premiers, le prix exigé se situe « hors des réalités du marché ». Si, en 2019, les cours ont atteint des sommets à plus de 600 dollars/kg, la pandémie a depuis rebattu les cartes. La demande a reflué et cela, d’autant plus que les firmes agroalimentaires ont décidé de s’approvisionner davantage en vanilline de synthèse pour ne plus subir des prix jugés exorbitants. D’autres producteurs comme la Papouasie-Nouvelle Guinée ou l’Ouganda en ont profité aussi pour renforcer leur position. Enfin, les années de spéculation ont conduit à une ruée sur les terres de la Sava pour planter à tour de bras ce qui s’est traduit en 2022 par une production record.

Du côté des exportateurs, le projet du gouvernement est jugé opaque et l’attribution des agréments – officiellement conditionnée au rapatriement total des recettes en devises – comme un mécanisme permettant d’écarter certains acteurs au profit de proches du régime, fussent-ils des novices dans le secteur.

Déconfiture

En réalité, le système est tout de suite contourné. D’un côté, « ceux qui ne reçoivent pas l’agrément continuent d’expédier en glissant les gousses de vanille dans leurs conteneurs de poivre, de clous de girofle ou utilisent des livraisons par DHL », témoigne Arnaud Sion, acheteur pour le compte du Comptoir de Toamasina. De l’autre, ceux qui ont obtenu le sésame pratiquent de généreuses rétrocommissions afin de ramener le prix de 250 dollars à une fourchette comprise entre 150 et 180 dollars ou compensent le différentiel de prix de vente en utilisant les réserves de devises dont ils disposent à l’étranger. Ce qui leur permet, en apparence, de respecter les règles fixées par le gouvernement.

Madagascar est-elle encore en mesure de négocier une sortie de crise ? « Les Malgaches ont creusé leur propre tombe, mais personne n’a intérêt à laisser le marché plonger. Lorsque les prix sont trop bas, les planteurs abandonnent leur champ et, quelques années plus tard, la baisse de la production se paie par une nouvelle flambée des cours. Le prix garanti doit être celui que reçoit le planteur pour lui permettre de vivre », estime Laurent Bourgois, le président d’Eurovanille et membre de l’Initiative pour une vanille soutenable, qui fédère 70 % des importateurs. Cette proposition peut-elle être la base du compromis qui sera discuté le 24 avril à Antananarivo ? Pour le chef de l’Etat et futur candidat, il devient quoi qu’il en soit incontournable de mettre rapidement une solution sur la table.

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