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De l’Egypte au Mozambique, les Emirats arabes unis à la conquête des ports d’Afrique de l’Est

Abou Dhabi déploie son géant de la logistique, DP World, le long de la mer Rouge et de l’océan Indien pour servir de tremplin à ses intérêts économiques et sécuritaires.

La firme émiratie a œuvré pendant des années, avec plus ou moins de réussite, pour poser un pied au Kenya. Initialement, DP World négociait un ambitieux contrat regroupant quatre concessions : les ports de Mombasa, de Lamu et de Kisumu, ainsi que le port sec de Naivasha. L’accord tacite passé avec l’administration de l’ex-président Uhuru Kenyatta (2013-2022) a d’abord capoté suite à l’élection de William Ruto, avant que le nouveau chef de l’Etat ne dicte ses propres termes.

L’entrée prochaine de DP World sur le marché kényan permettrait aux Emirats arabes unis de renforcer leur emprise sur les ports et les routes commerciales de la région. A la manière de la Chine le long des « nouvelles routes de la soie », Abou Dhabi tisse un collier de perles en Afrique de l’Est, de l’Egypte au Mozambique. Mis à part Djibouti, où un litige l’oppose aux autorités, et l’Erythrée, d’où elle s’est récemment retirée, la puissance portuaire s’étend sur toute la façade est du continent grâce à ses deux bras financiers, DP World et Abu Dhabi Ports, et une diplomatie entreprenante.

Une force militaire et commerciale

L’implantation émiratie dans la région commence en 2006 à Djibouti. « Les Emirats se voient à la fois comme une nouvelle Venise, une puissance culturelle et commerciale tournée vers l’extérieur, et comme une nouvelle Sparte, un émirat très axé sur le “hard power” militaire », assure Sébastien Boussois, auteur de l’ouvrage Emirats arabes unis : à la conquête du monde. Quatrième détroit le plus fréquenté au monde, Bab-el-Mandeb voit passer 40 % du commerce maritime mondial et plus de 6 millions de barils de pétrole brut par jour. Le sécuriser est vital pour une puissance exportatrice telle qu’Abou Dhabi.

« Pour servir ses ambitions, Mohammed ben Zayed [MBZ, l’émir d’Abou Dabi et président des Emirats arabes unis] combine la force militaire à la force commerciale », assure Sébastien Boussois. Dans la Corne de l’Afrique, DP World agit en tant que soutien au complexe militaro-industriel émirati. Que ce soit à Berbera (Somaliland) ou à Bosaso (Somalie), les deux concessions portuaires de DP World ont été assorties d’accords de coopération, de modernisation de bases militaires et de financement des marines locales pour lutter contre la piraterie dans le golfe d’Aden.

L’Afrique centrale est riche en minerais et en terres rares, sur lesquels Abou Dhabi cherche à mettre la main

Cependant, la trêve au Yémen et la fin du blocus contre le Qatar marquent un retrait progressif de l’armée émiratie. Assab a été abandonnée l’an dernier. « On retourne aujourd’hui à un impératif économique dans la stratégie de DP World », remarque Jean-Loup Samaan. L’intérêt émirati pour Mombasa, plus grand port d’Afrique de l’Est, en est la manifestation. Ce hub logistique de premier ordre sur le continent fait office de porte d’entrée vers plusieurs marchés d’Afrique centrale : Rwanda, République démocratique du Congo, Soudan du Sud, Ouganda. La zone est riche en minerais et en terres rares, sur lesquels Abou Dhabi cherche à mettre la main.

« Des investissements tous azimuts »

« MBZ prépare l’après-pétrole et poursuit une stratégie de diversification via des investissements tous azimuts », indique Sébastien Boussois, soulignant notamment l’inquiétude constante des Emirats en matière de sécurité alimentaire. Abou Dhabi importe 85 % de ses besoins alimentaires. « Les Emirats cherchent à contrôler à la fois les sources et les voies d’approvisionnement », assure Jean-Loup Samaan. « Les acquisitions de DP World reflètent l’ambition des Emirats de posséder la majeure partie de la chaîne de valeur – infrastructures, routes, ports – pour en tirer le maximum d’influence », renchérit Benjamin Hunter, du cabinet Verisk Maplecroft.

« La tendance des dix dernières années montre une augmentation des acquisitions de DP World et Abu Dhabi Ports, qui font suite à une plus grande implication des Emirats dans les affaires de la Corne de l’Afrique », selon Benjamin Hunter. Abou Dhabi s’est par exemple mué en médiateur de la paix éthio-érythréenne en 2018. Usant de leur influence, les Emirats n’ont pas hésité à intervenir de manière plus décisive pour soutenir leurs alliés. MBZ a mis des drones à disposition de l’Erythrée lors de la guerre au Tigré et a opéré un impressionnant pont aérien vers Addis-Abeba pour soutenir l’armée fédérale d’Abiy Ahmed pendant la guerre civile à l’été 2021. Un appui qui ne peut que s’accompagner de quelques contreparties.

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